Lettre d'une collégienne de 14 ans
Lucie, 14 ans, l'auteur de cette lettre, nous a donné l'autorisation de reproduire son texte ici. Merci à elle !
A letter from a 14 year old reader of Sarah's Key.
Chère Mme De Rosnay,
Je suppose que beaucoup de lecteurs vous écrivent, et n'espère pas vraiment recevoir de réponse à ma lettre. Je tenais tout de même à la rédiger, car j'ai besoin de vous faire savoir ce qui suit, aussi stupide soit ce besoin. La lecture de votre livre "Elle s'appelait Sarah", m'a laissée vraiment différente. Peut-être grandie, je n'en sais rien, en tout cas bouleversée et bien pensive. Cette sombre époque, cette horrible tâche d'encre indélébile dans l'Histoire de la France, me passionne depuis que j'en connais l'existence. La Shoah, toutes les atrocités subies par des personnes n'ayant pour seul crime que le fait d'être nés Juifs, tout ce sang versé à cause de la folie de l'homme ... aussi triste soit cette période, j'aime à m'instruire sur ce sujet que beaucoup trop de monde s'efforce d'oublier. Tout cela a commencé, il y a de cela maintenant quelques années, par la lecture d'une adaptation du journal d'Anne Frank, que j'ai lu depuis dans son intégralité. Ces écrits avaient chamboulé la petite fille de huit ans que j'étais, et je m'étais mise à grapiller partout des informations sur les années 1940, la terrifiante folie d'Hitler, et tout ce qui se rattachait de près ou de loin à cette période de l'Histoire. Ainsi, en grandissant, j'ai appris la signification des mots qui frappent comme des gifles. Génocide. Rafle. Nazis. Auschwitz. Croix gammée. Camps. Déportés. Et, depuis peu : Vélodrome d'Hiver. En effet, je n'avais que trop peu étudié le sujet de la rafle de Juillet 1942. Votre livre, je suis tombée dessus totalement par hasard, en dépensant mon argent de poche en livres (comme je le fais chaque mois, au grand désespoir de mes parents qui aimeraient me voir économiser ... mais qu'est-ce qui peut avoir plus de valeur qu'un livre ? Que l'on me cite un seul moyen plus intelligent de dépenser son argent. Je mange ma casquette.) J'ai parcouru la quatrième de couverture, mais les trois premiers mots avaient suffi à me décider : Paris, juillet 1942. J'ai acheté ce livre en pensant que j'allais tout bêtement ajouter à mes rayonnages un millième roman historique traîtant de l'époque qui me captive. Hors, non. "Elle s'appelait Sarah" est loin, très loin, inimaginablement loin d'être un livre comme les autres. Le fait que ce récit soit à cheval entre deux époques, déjà, lui donne un style qui se démarque des autres. Ces deux histoires en parallèle, celle de Sarah, la fillette juive, qui va vivre l'enfer, et celle de Julia, presque la femme parfaite quand on y pense, qui va retracer la précédente, découvrant cet enfer, impuissante. Spectatrice silencieuse des pires horreurs, celles d'un passé pas tout à fait enfoui. J'ai aimé votre livre pour ça, pour la façon dont vous combinez les deux histoires, dont vous arrivez à faire en sorte que Julia, ses problèmes, son bébé, son mari, ses origines ... ne paraisse pas totalement ridicule et désuette à côté d'un enfant martyr qui a vu sa vie s'écrouler sans parvenir à stopper l'éboulement. Ses proches, ses rêves, son sourire : Sarah a tout perdu, et, bien que cette histoire là m'ait souvent fait monter les larmes aux yeux - de tristesse ou de colère - je parvenais quand même à trouver que Julia, l'Américaine contemporaine qui n'a que des problèmes d'ordre banal, était très touchante elle aussi. L'histoire de la première n'existe pas sans l'histoire de la seconde, je crois. Et inversement.
Pardonnez cette lettre un peu confuse, je n'ai jamais été très douée pour définir ce qui me plaisait ou pas chez un auteur. Retenez simplement que je vous admire énormément, vous et votre talent sans limite. Car il ne s'agit pas uniquement d'avoir "quelque chose" de beau à raconter, encore faut-il avoir assez de ce je-ne-sas-quoi, dans les doigts et dans l'esprit, pour savoir trouver les mots justes, pour savoir tenir les gens en haleine. Pour ma part, en vous lisant, je ne vivais plus que pour et par les personnages. Plus qu'un livre, votre oeuvre est un retour en arrière, où des mains puissantes tiennent le lecteur juste devant ce qu'il pourrait refuser de voir, lui écarquillant les paupières pour l'empêcher de fermer les yeux. Vous nous confrontez à toute l'horreur qu'ont pu endurer des milliers de gens. Vous nous livrez la vérité crue, et sur le coup ça fait mal, ça choque, mais il faut accepter les périodes sombres de notre Histoire, même si la France ne peut vraiment pas être fière du rôle qu'elle a joué dans la rafle du Vél D'Hiv'. Livre que j'ai reçu comme un coup de poing.
A 14 ans, je crois pouvoir dire que j'ai déjà lu beaucoup. Des livres que l'on lit, parce que ça nous vide l'esprit, pour passer le temps. Hors, "Elle s'appelait Sarah" est un de ces livres que jamais je ne parviendrai à oublier.
Plus qu'un auteur, vous êtes une magicienne.
Lucie